Changements au Pakistan

La Croix 11 mars 2008


La disgrâce des forces islamistes est le résultat le plus frappant des dernières élections pakistanaises. Un autre est l’émergence d’une troïka composée de l’actuel président, le général Musharraf, et des deux grands partis vainqueurs, ceux des anciens premiers ministres Benazir Bhutto et Nawaz Sharif.

Le Pakistan People Party de Mme Bhutto - « un parti du peuple pour le peuple gouverné par une famille » de tendance socialiste au départ - gagne au plan national et dans la province du Sindh. La Pakistan Muslim League / N - pas très modérée et parfois alliée aux religieux - est seconde au plan national et gagne dans son fief du Pendjab. La Pakistan Muslim League / Q du Président Musharraf - « le parti du roi » ! - gagne au Béloutchistan. Plus au nord la région frontalière avec l’Afghanistan est, elle, remportée par un parti pashtoun, l’Awami National Party / ANP qui en chasse les fondamentalistes musulmans, eux-mêmes ayant disparu au plan national, leurs 45 députés ne se retrouvant qu’à 5.

L’avenir dira si les deux grands partis vainqueurs pourront à la fois s’entendre entre eux - en dépit de leurs divergences historiques - et avec l’actuel président toujours soutenu par les Etats-Unis et qui a combattu sans cesse ses opposants pakistanais, par exemple pour corruption ; il poursuit ainsi une action judiciaire en Suisse contre la famille Bhutto.

«Des tenues d’écoliers plutôt que des harnachements de kamikazes ! » : cette formule d’un dirigeant du parti pashtoun illustre bien les raisons de la victoire de l’ANP et la défaite des fondamentalistes dans tout le pays. Les promesses des fondamentalistes ne se sont pas réalisées au cours de cinq dernières années et la région de l’ouest est restée pauvre et en retard. Dans certaines zones tribales moins de 5% des femmes sont alphabétisées; parfois 60% de la population se situe sous le seuil de pauvreté. Contrebande, opium, trafic d’êtres humains, peur en sont les conséquences. Et les partis fondamentalistes qui disaient vouloir la promotion des femmes au nom de l’Islam n’ont rien fait évolué. Bien au contraire les reculs sont innombrables dans le domaine culturel par exemple.

Ces partis islamistes avaient bénéficié du soutien du président Musharraf pour leur victoire régionale et leur triomphe national de 2002 au score historique de 10%, niveau jamais atteint par les partis religieux. Ils sont aujourd’hui revenus à leur place habituelle. L’ANP, parti laïc de centre gauche, déclare que les Pashtouns ont séparés les militants extrémistes des modérés, par leur choix pour le libéralisme et la modernisation. Un représentant de la Commission catholique pour le dialogue inter religieux écrit que ces élections mettent fin à la duperie des religieux fondamentalistes qui hypnotisaient les pauvres et les populations analphabètes depuis des décennies.

Le nouveau gouvernement pakistanais est confronté aux énormes besoins économiques et sociaux particulièrement dans la région frontalière de l’ouest. Le contexte politique est sensible mais il faut reconnaître que c’est la première fois en 60 ans que les assemblées nationale et régionales accomplissent la durée de leur mandat de 5 ans. La pression des Etats-Unis toujours en « guerre contre la terreur » le long de la frontière pakistano afghane s’y exerce avec des méthodes peu pacifiques.

Hier comme aujourd’hui et demain, les populations pashtounes installées à cheval sur la frontière n’accepteront ni une présence étrangère ni l’ingérence dans leurs affaires. La débandade des partis fondamentalistes islamistes n’y changera rien.


Denis Viénot

Ancien président de Caritas Internationalis